Papillons de nuit du Liban
Les papillons de jour ont beau être plus colorés que ceux de nuit, ils sont incontestablement moins diversifiés. Le Liban à lui seul compte en effet 590 espèces de papillons de nuit, alors qu’il ne contient que 194 espèces de papillons de jour.
On distingue traditionnellement ces deux classes au sein de l’ordre des Lépidoptères (les insectes ayant des ailes à écailles), en distinguant les papillons qui volent de jour et ceux qui volent de nuit. Et nous ne voyons ces derniers qu’à cause de leur attrait irrésistible pour les sources localisées de lumière. Pourtant, de nombreux papillons dits « de nuit » peuvent être observés de jour, spécialement à l’aurore et au crépuscule.
Quoi qu’il en soit, il est assez facile de distinguer intuitivement les deux classes. Dans le tableau suivant, nous avons regroupé leurs principales différences.
Papillon de jour | Papillon de nuit | |
1 | Antennes en forme de club de golf | Antennes à la silhouette d’un peigne ou d’une plume |
Bariolé << repère son partenaire par la vue | Sombre ou terne, motifs camouflants (repère son partenaire grâce aux phéromones) | |
2 | Au repos, les ailes sont debout | Au repos, les ailes sont posées à la manière d’une tente |
Abdomen svelte et mou | Abdomen plein et touffu | |
Écailles fines | Écailles larges >> lui donne un aspect duveteux >> conserve la chaleur | |
Se réchauffe en ouvrant les ailes au soleil | Se réchauffe en frissonnant les muscles du vol | |
Yeux composés en apposition = chaque facette produit sa propre image >> adapté à la lumière forte du jour | Yeux composés en superposition = toutes les facettes produisent une même image >> adapté aux environnements sombres (nuit, sous-bois, garde-manger, …) | |
Stade de la chenille | ||
La chenille forme une chrysalide solide | La chenille forme un cocon soyeux |
Pourtant, scientifiquement parlant, seuls les papillons de jour sont clairement définis, il s’agit de l’ordre des rhopalocères, littéralement ceux qui possèdent des (antennes en forme de) club de golf. Quant aux papillons de nuit, cela regroupe simplement tous lépidoptères qui ne sont pas des rhopalocères. On appelle ce pot-pourri l’ordre des hétérocères, littéralement, ceux qui possèdent d’autres (antennes). Techniquement, ce groupe est paraphylétique, il n’a pas d’ancêtre commun unique.
La grande majorité des papillons de nuit est active la nuit, et leur apparence est terne. Cela semble confirmer la théorie de l’« auto-expression de la vie » d’Adolf Portman, théorie selon laquelle les êtres vivants expriment leur singularité par une apparence esthétique spécifique qui ne peut se réduire à une fonction évolutive déterminée par la sélection naturelle. Or, les papillons actifs la nuit n’étant pas visibles, ce n’est pas par une apparence physique, mais une apparence chimique, des phéromones, qu’ils se distinguent. En revanche, les hétérocères actifs le jour sont bien colorés, ainsi que les chenilles.
Pour le Liban, la connaissance des papillons de nuit doit beaucoup à l’ouvrage de Husein Ali Zorkot, A pictorial guide to the moths of Lebanon. Zorkot aime à distinguer les papillons de nuit selon leur habitat, affirmant qu’environ un tiers des espèces vit en milieu forestier, un tiers dans les prairies, et un tiers sur les terres cultivées.
Ici, nous nous contentons de relever certaines espèces remarquables et d’en indiquer les caractéristiques.
La chenille processionnaire
Nom scientifique : Thaumetopoea
Chez les papillons de nuit, le stade larvaire est plus important que celui du stade adulte. Non seulement, la durée de vie est la même (environ trois semaines), mais en plus, de nombreuses espèces ne se nourrissent qu’à ce stade, la chenille uniquement ayant donc un rôle écologique actif. Beaucoup sont ainsi nommés d’après une caractéristique de leur chenille.
C’est le cas des processionnaires, qui sont nommés d’après le comportement de la chenille qui vit en agrégats qui se déplace en file indienne serrée. Si l’adulte nocturne est difficile à observer, en revanche, la chenille est facilement identifiable du fait de cette particularité et de ses poils urticants.
En arabe, les processionaires sont surnommés dūd al-rabi‘ (les vers du printemps). Il peut être observé tout l’hiver des nuits de soie sur le sol qui les abritent et leur sortie constitue un des premiers signes du printemps.
Au Liban, peut être observée l’espèce principale, dont la chenille se nourrit des feuilles de chêne (Thaumatopoea processionea), également celle qui se nourrit des aiguilles de cèdre (T. libanotica), ou de pin (T. wilkinsoni), ou encore des feuilles de sumac (T. solitaria). Les nids de ces chenilles peuvent être observés pendant l’hiver sur ces arbres ou à proximité.
Sphinx du Laurier-rose
Nom scientifique : Daphnis nerii
Les papillons de nuit de la famille des sphinx comptent parmi les insectes les plus rapides, atteignant une vitesse de 19 km/h. De la même façon que les oiseaux-mouches, certaines chauves-souris et les mouches syrphidés, ils ont la faculté d’opérer un vol stationnaire, permettant de se tenir en l’air sans se poser face à la fleur dont ils extraient le nectar.
La chenille du sphinx du laurier-rose est le seul animal capable de manger les feuilles venimeuses du laurier-rose. Elle va même jusqu’à conserver sous sa peau la substance venimeuse, repoussant ainsi l’appétit des oiseaux prédateurs.
Sesiidae
Nom scientifique : Sessiidae
Les sesiidae sont des papillons de nuit très particulier. D’abord, ils possèdent des ailes en partie transparentes, leur donnant leur nom, puis ils sont diurnes, et surtout ils ont développé un mimétisme batésien, mimétisme à la fois dans l’apparence et le comportement qui les pousse à imiter certains hyménoptères (principalement des guêpes). Même leur vol reprend le bourdonnement de ces cousins doués d’un dard.
Au Liban, peuvent être observés Chamaesphecia chalciformis qui imite une guêpe fouisseuse (Sephidae), différentes espèces de Pennisetia, comme P. fixseni ou P. hylaeiformis, qui imitent la guêpe commune, ainsi que le fait Synanthedon vespiformis, alors que Synanthedon myopaeformis imite une mouche Myopae.
Papillon porte-plume
Nom scientifique : Alucitidae and Pterophoridae
Ces deux familles de papillons de nuit ont des ailes anormalement modifiées. Chez les Alucitidae, tant les ailes antérieures que postérieurs forment six épines rigides d’où partent des poils souples créant une structure similaire à la plume d’un oiseau Au Liban, peut être observé tout au long de l’année le papillon-plume (Alucita cancellate).
Chez les papillons porte-plume proprement dit (Pterophoridae), les ailes antérieures forment des montures courbées pleines de poils souples s’étendant vers l’arrière. Au Liban, peuvent être observés Amblyptilia acanthadactyla (toute l’année), Cnaemidophorus rhododactyla qui vole de juin à août, Emmelina monodactyla qui se nourrit de Convulvus et vole toute l’année.
Fausse-teigne
Nom scientifique : Galleria melonella.
Famille: Pyralidae
Cette espèce est considérée comme nuisible par les apiculteurs, du fait qu’elle s’introduit dans les ruches pour pondre ses œufs dans le couvain, les larves se nourrissant alors de la cire, entraînant alors la mort des larves d’abeille. Mais ce papillon étant alors facilement domesticable, il est élevé pour sa larve charnue par les pêcheurs de truite. Et ayant découvert que sa capacité à digérer la cire est également celle à se nourrir de plastique, on a placé de grands espoirs écologiques dans son métabolisme. Le nuisible s’est transformé en sauveur au gré de la crise écologique des sacs plastiques.
La fausse-teigne appartient à la famille des pyrales (Pyralidae), facilement reconnaissable à sa tête en forme de museau. De nombreuses espèces peuvent en être observées au Liban, à commencer par le papillon du caroubier, (Ectomyelois ceratoniae), le Polyocha venosa, le Phycita poteriella, ou l’endemique Synaphe berytalis.
Ver à soie
Nom scientifique : Bombyx mori dérivé de B. mandarina (China)
Bien que des milliards de vers à soie aient existaient encore il y a quelques 80 ans au Liban, considéré comme leur climat le plus favorable, ce papillon de nuit en a totalement disparu. Elevé sur les premiers contreforts du versant ouest du mont Liban depuis le viie siècle, il ne peut plus être guère observé qu’au musée de la soie de Bsous. Le contraste est frappant. En effet, si l’on se fie aux chiffres de 1895, près de 30 millions de mûrier blanc était planté pour nourrir les vers à soie, 5 mille tonnes de soie étaient produites, et quelques 50 mille familles vivaient de cette industrie (soit bien un dixième de la population de l’époque).
La raison de sa disparition intégrale est simple : depuis la domestication de Bombyx mandarina il y a 5 000 ans en Chine, l’espèce a été artificiellement sélectionnée, évoluant en Bombyx mori qui est incapable de survivre dans la nature ou de se reproduire sans l’intercession de l’homme. En effet, si cette évolution l’a parfaitement adapté aux conditions de sa production intensive : il produit un cocon de soie plus gros que les autres espèces, il supporte la promiscuité des bacs de production, etc., en revanche, il est totalement inadapté à la vie sauvage. En effet, il a perdu tout pigment, le rendant aisément repérable par les prédateurs, et il a même perdu la faculté de voler, dont à la fois de fuir et de trouver sa partenaire pour se reproduire.
Bibliography
Husein Ali Zorkot, A Pictorial Guide to Moths of Lebanon, Beirut: SPNL, 2021
Maurice Févret, “La sériciculture au Liban,” Géocarrefour 1949